II – Politique publique et opportunité
Avant toute politique publique, il est nécessaire de commencer par reconnaître que l’émission de gaz à effet de serre (GES) constitue une « externalité négative » et une « défaillance du marché », qu’il faut donc corriger. En effet, en l’absence de politique publique, les émetteurs de GES ne paient pas le prix des dommages, puisque les prix des marchés « envoient un mauvais signal » ; et c’est la plus grande « défaillance du marché que le monde ait jamais connue, puisqu’elle concerne tous les hommes » : il faut donc que les politiques publiques viennent la corriger en mettant un prix sur les émissions de GES.
L’aspect positif du problème, c’est que la technologie sera la clé d’un futur sobre en CO2. Plus largement, les idées sont un « signal positif ».
Comment peuvent agir les politiques publiques ? Elles doivent :
- directement soutenir la recherche sur le climat, inciter à l’innovation technologique dans ce domaine,
- encourager l’usage sobre de l’énergie
- et financer le tout en taxant les émissions de GES.
Prenons l’exemple du logement : il n’y a pas assez d’incitation dans ce domaine, en raison des défaillances du marché et en l’absence de politiques publiques suffisantes ; on continue à voir construire des logements neufs par des promoteurs qui ne tiennent aucun compte de nouvelles normes parce que leur profit serait moindre et leurs coûts de construction augmentés. C’est la même chose dans le domaine des transports. Or la conduite en état alcoolisé a bien été jugulée par les politiques publiques, en associant d’une part des sanctions (volet « négatif ») et d’autre part le développement du sens de la responsabilité intériorisée par le public. A cet égard, il faut se reporter à Stuart Mill au milieu du XIXe siècle, pour la conception de la « responsabilité publique ».
Il faut mettre en place des incitations, déclencher un processus dynamique de changement radical : en effet, tout montre que les périodes de grande croissance ont été impulsées par des politiques publiques encourageant les changements par les investissements publics dans la recherche, la technologie et l’innovation.
Ainsi, les techniques d’isolation se transforment rapidement, à partir de technologies, comme celles de l’aérospatial aboutissant à de nouveaux matériaux qu’on peut appliquer au domaine du logement. C’est la même chose dans l’agriculture, où l’on voit apparaître de jour en jour de nouveaux équipements innovants.
La croissance sobre en CO2 est la croissance du futur, c’est l’action publique nationale et internationale, si elle est suffisamment déterminée, qui peut convaincre entreprises et marchés.
On sait qu’il y a une « externalité positive » dans les arbres en croissance, qui absorbent le CO2 et jouent un rôle positif indispensable dans le cycle du carbone sur la planète : il faut donc les protéger et décourager la déforestation, tout en incitant à la reforestation ; or, actuellement, les politiques multiformes (lois, prix…) sont insuffisantes, contradictoires et inefficaces.
La « modélisation climatique » actuelle a bien progressé au global, mais reste encore difficile au local, car très complexe. Les informations restent rares dans les zones pourtant les plus sensibles (Himalaya, pour la question de l’eau, Afrique, avec près d’un milliard d’habitants, Amazone, pour la question de la forêt…). Une bonne anticipation par une meilleure modélisation au local, reste à construire par la recherche, qu’il faut donc soutenir et encourager.
Il y aura environ 9 milliards d’habitants en 2050 sur la planète, c’est la dimension démographique du problème : les objectifs de développement – baisse de la mortalité, éducation, santé, égalité des sexes, etc. – se combinent avec l’objectif de préservation de l’environnement. En fait, les risques sont mesurés aujourd’hui comme plus importants qu’ils ne l’étaient il y a 4 ans à l’époque du Rapport Stern. Les capacités d’absorption par la planète du CO2 émis se sont avérées plus faibles que prévu et il faut donc aujourd’hui raisonnablement viser 450-500 ppm maximum, plutôt que le chiffre de 550 ppm par personne et par an donné dans le Rapport Stern. De ce fait, les coûts qui en résultent pour respecter cet objectif paraissent aujourd’hui plus élevés (+ 1 ou 2 points de PIB par an que prévu) mais ils pourraient bien diminuer avec l’évolution du coût de l’énergie ces prochaines années, et aussi avec les progrès technologiques. De plus, les coûts du changement climatique et de ses conséquences sur les économies sont bien supérieurs au coût de la « sobriété ». Dans ces conditions, les coûts de l’action sont de toute façon bien moindres que ceux de l’inaction. De plus, les coûts de l’action maintenant sont également bien moindres que ceux d’une action plus tardive. Il s’agit ici de calculs économiques, sans parler des coûts d’une autre ordre : sociaux, politiques, diplomatiques et humains, au service desquels l’économie par définition devrait pourtant elle-même toujours se placer…
III - Copenhague décembre 2009
On sait à quel point cette conférence mondiale de Copenhague sur le climat a été décevante. A quoi devrait ressemble un bon accord ? Un accord mondial réussi devrait être :
1 - efficace (c’est-à-dire ample et suffisant)
2 – efficient (c’est-à-dire limitant les coûts)
3 – équitable (c’est-à-dire notamment tenant compte des inégalités entre les pays)
Il devrait aboutir à un scénario partagé de limitation des émissions de GES cohérent avec l’objectif des +2°C maximum, c’est-à-dire avec le chiffre de 44 milliards de tonnes de CO2 maximum d’ici 2020, avec un « pic » devant être atteint mondialement avant cette date, puis un chiffre pour 2030 inférieur à 35 milliards de tonnes, pour finir sur un chiffre inférieur à 20 milliards de tonnes en 2050. Cela signifie pour les pays riches une diminution de -80% en 2050 par rapport à 1990 si l’on veut atteindre l’objectif de 2t par personne, avec des étapes intermédiaires solidement établies.
Des plans compatibles pour chaque pays en développement avec les objectifs 2010 et 2050 doivent également viser les 2t/personne.
Le système des « permis d’émission » ou « droits d’émissions » doit être réformé, élargi à tous les pays et généralisé dans l’échange. Cela pose un problème d’équité majeur pour les pays en développement, car ces permis constituent de très importants actifs financiers.
Sur la déforestation, une campagne dans le cadre d’un accord mondial devrait absolument la réduire de moitié d’ici 5 à 10 ans.
Le problème technologique devrait lui aussi être traité mondialement, avec une coordination des normes, un partage des technologies, un accroissement des investissements dans la recherche publique, une étude des risques et des énergies alternatives…
Sur le problème de l’adaptation aux changements climatiques, selon les calculs du PNUD, il faut consacrer 100 milliards de dollars en plus par an pour atteindre les objectifs de développement.
Voilà quelle doit être la « feuille de route » - à comparer avec les résultats de la Conférence de Copenhague… Ce « COP15 » a tout de même réuni plus de 100 chefs d’Etat les derniers jours (sur 192 pays participants qui doivent prendre leurs décisions à l’unanimité…). 5 grands pays ont signé un accord : l’Afrique du Sud, les USA, l’Inde, le Brésil et la Chine, accord « soutenu » par l’Union Européenne et de nombreux pays. Cet accord ne comporte que 12 articles, parmi lesquels l’objectif de +2°C maximum, avec un « pic » d’émissions aussi vite que possible, des engagements contraignants.
Des « plans d’atténuation » pour les pays en développement pouvaient être présentés pour le 31 janvier 2010 et effectivement, de nombreux plans ont bien été soumis.
On a vu également l’engagement à gérer un « fonds climatique vert » de plus de Si le résultat de 100 milliards de dollars par an d’ici 2020, par un groupe de Copenhague.
Certains pays-clés, comme les USA, la Chine (travaillant ensemble pour la première fois) ont présenté pour la première fois des plans, des objectifs et des politiques de réduction des émissions de GES.
Copenhague est décevant, il aurait pu être « bien pire » et il fournit une base sur laquelle s’appuyer, grâce aux fondements scientifiques solidement établis, qui a commencé à se construire concrètement, avec la mise en place d’une coopération internationale, et qui s’achèvera au COP16 à Mexico fin 2010. Il est maintenant que le risque élevé entraîne une réflexion politique commune sur la gestion de ces dangers.
Mais il existe un grand sentiment d’injustice, qui est une réalité politique, dans le monde en développement. Les pays riches sont responsables de plus de 60% des émissions et ce sont les pays pauvres qui seront (sont déjà) les plus affectés par les changements climatiques : il faut donc une aide des riches vers les pauvres ; l’exemplarité de pays sobres en carbone, déjà donnée par la Corée du Sud, certains pays scandinaves, le Costa-Rica ou le Guyana, devrait venir aussi des pays riches ! Ce n’est pas qu’une « bataille intellectuelle », mais un enjeu de « community », avec le besoin de la plus vaste coopération que le monde ait jamais connue : de nouvelles institutions sont aujourd’hui nécessaires. Si un nouveau Bretton Woods (juillet 1944) avait lieu, des hommes comme Harry Dexter White proposeraient d’autres institutions que celles créées pour le commerce, comme la Banque Mondiale : il faut aujourd’hui une organisation mondiale pour l’environnement.
Les intellectuels, universitaires, conseillers, enseignants, doivent penser l’avenir et anticiper, non pas attendre la catastrophe, comme on a attendu que se produisent au XXe siècle la crise de 29 ou les deux guerres mondiales, qui ont conduit à Bretton Woods… Il n’y a qu’une seule planète habitable, sans aucune alternative humaine à l’échelle mondiale. La discussion raisonnée, impliquant toutes les disciplines et les universités du monde entier, s’impose, car l’environnement est un sujet interdisciplinaire par excellence et parce que la communication des arguments et des savoirs constitue une dimension clé de l’action.